Tanjung Jati B : assez de charbon pour noircir les engagements climat du Crédit Agricole et de Société Générale
En 2015, Crédit Agricole, Société Générale se sont engagées à ne plus financer de projets de centrales à charbon. Mais cet engagement ne couvre que les pays riches. A peine la page de la COP21 tournée, ces deux banques pourraient soutenir le projet de centrale à charbon de Tanjung Jati B en Indonésie.
La centrale de Tanjung Jati B est une centrale à charbon de 2640 MW située dans la province de Java central en Indonésie. Malgré les impacts et conflits générés par ses quatre unités sous-critiques de 660 MW, le gouvernement indonésien entend y ajouter deux nouvelles unités ultra-supercritiques de 1000 MW.
Bien que le projet à 500 milliards de yen, soit près de 4 milliards d’euros n’ait toujours pas été autorisé par l’autorité environnementale (1), le montage financier est prévu pour la première partie de l’année 2016. La majorité des fonds devraient provenir de prêts, sous la forme d’un financement de projet, par un groupe composé de banques et agences japonaises (2), et de banques françaises.
Crédit Agricole et Société générale ont toutes deux rejoint le groupe de financeurs en janvier 2016, après le retrait de BNP Paribas. Un soutien qui discrédite les engagements climat adoptés par les banques françaises en amont de la COP21 en 2015.
Tanjung Jati B, un des 2440 projets de nouvelles centrales à arrêter
D’après un rapport de Climate Action Tracker, toute nouvelle infrastructure destinée à augmenter la production d’électricité à partir de charbon est incompatible avec l’objectif de 2°C et l’exploitation des seules capacités existantes mènerait à des émissions de CO2 400% au-dessus du plafond. Il nous faut donc non seulement renoncer aux 2440 projets de nouvelles centrales mais également enclencher au plus vite la fermeture du parc existant.
En Indonésie, la situation est très préoccupante. Non seulement le charbon, le gaz et le pétrole se partagent la production énergétique de l’Indonésie avec une quasi inexistence des énergies renouvelables, malgré le potentiel géothermique, mais le gouvernement entend augmenter la part du charbon dans le mix énergétique. Le Nouveau plan énergique, lancé en 2015, prévoit en effet que 20GW sur les 35GW prévus d’ici 2019, proviennent de nouvelles centrales à charbon. Une catastrophe pour le climat mais avant tout pour les populations déjà gravement impactées par les pollutions provoquées par les mines et centrales à charbon du pays.
De plus, non seulement les populations paieront les impacts de la production et de la combustion de charbon, mais aussi les subventions publiques exigées au gouvernement indonésien par les producteurs nationaux de charbon pour maintenir la rentabilité d’un secteur en chute libre en Indonésie comme sur les marchés internationaux. Le coût total de ces subventions sur 25 – 30 ans : entre 6 et 7 milliards de dollars américains. Nous sommes loin du faible coût du charbon tant mis en avant par les industriels afin de justifier le développement de cette énergie auprès de ceux qui si’inquiètent des conséquences environnementales, climatiques et humaines de cette industrie.
Derrière ce projet d’extension, PT Central Java Power, une filiale du conglomérat japonais Sumitomo, mais qui a un contrat de location financement de 23 ans avec PT PLN, l’entreprise d’électricité indonésienne. Avec 8530 MW de nouvelles capacités charbon de prévus (d’après la base de données de Platts WEPP, mars 2015), PLN est une des 30 entreprises au monde avec le plus de projets charbon de prévus, soit une des entreprises qui entendent saper tout effort de lutte contre les changements climatiques.
Les soutiens inopportuns du Crédit Agricole et de Société Générale
Crédit Agricole et Société Générale ont rejoints le groupe de financeurs en janvier 2016, à peine un mois après avoir applaudi l’accord de Paris selon lequel tous les efforts doivent être fait pour limiter la hausse de la température du globe bien en dessous de +2°C, avec comme référence le seuil de 1,5 °C. Car si les banques se sont engagées en 2015 à ne pas financer de projet de centrales à charbon dans les pays riches, elles n’ont pas pris d’engagement concernant les autres pays. Or, les pays riches ne constituant qu’une infime part du marché du charbon, c’est dans ces autres pays que se jouera la bataille du climat.
A noter que BNP Paribas a, elle, décidé de se retirer du projet. Si les raisons sont inconnues, une certitude, la banque a à plusieurs reprises dit ne pas vouloir financer de projet charbon qui augmenterait l’intensité carbone moyenne des centrales électriques à combustibles fossiles du pays hôte. Or l’extension de Tanjung est un des projets qui augmenterait la part du charbon dans le mix énergétique du pays.
Mais au-delà des impacts climatiques du projet, les raisons de se retirer ne manquent pas tant les impacts de la centrale et plus largement du charbon sur les populations indonésiennes sont considérables.
Pour conclure, c’est donc la crédibilité des engagements climat du Crédit Agricole et de Société Générale qui sont en jeu. Si les deux banques décident de financer ce projet, ou tout autre centrale à charbon, c’est que derrière leurs discours pro climat, c’est « business as usual », les affaires passent toujours avant le climat et les populations.
Mais tant que le financement n’est pas débloqué, elles ont encore l’opportunité de se retirer du projet, et de mettre un terme au double standard qui existe aujourd’hui dans leur politique de financement du secteur du charbon entre les pays riches et les autres. En s’engageant à ne plus financer de nouveaux projets de centrales à charbon partout dans le monde, comme l’a fait Natixis en octobre 2015, et en excluant de leurs soutiens les entreprises les plus actives dans le secteur du charbon, elles démontreront qu’elles participent à la lutte contre les changements climatiques.
La balle est dans leur camp.
(1) https://ekonomi.bisnis.com/read/20200108/44/1188239/pembangkit-pln-raih-5-proper-emas-dan-16-proper-hijau-2019
(2) BTMU, Mizuho Bank, Sumitomo Trust, et SMBC également conseiller financier.