Textile : pour en découdre avec la surproduction
Une semaine après le début des soldes d’hiver, nous rappelons l’ampleur des dégâts environnementaux et humains de la fast-fashion. Parce que nous ne sommes pas condamné·es à accepter le modèle actuel basé sur la surproduction, l’exploitation des travailleur·euses et le mépris de l’environnement, découvrez nos propositions !
Surproduction : de quoi parle-t-on ?
En bref
La surproduction désigne un système déconnecté des besoins réels, où les niveaux de production et de mises en marché dépassent la demande et les limites planétaires. La surproduction, qui fait partie intégrante des stratégies économiques des leaders de la fast-fashion (tels que Shein, H&M, Zara ou encore Primark), s’accompagne de pratiques commerciales incitant à la consommation : promotions constantes, outils marketing, développement de la vente en ligne, renouvellement permanent des collections…
Chaque année, 2,88 milliards de vêtements sont mis en marché en France, soit 42 nouveaux vêtements par personne et par an. Ce chiffre a doublé depuis le début des années 2000. Or, il devrait être abaissé à 5 pour répondre aux engagements de l’Accord de Paris.
Ces quantités astronomiques de vêtements mis en marché sont rendues possibles grâce à de faibles prix de vente. En effet, un produit vendu par Shein, Zara ou H&M coûte 13,4€ en moyenne1, un prix qui repose sur une production délocalisée et l’externalisation des coûts environnementaux et sociaux.
Déstockage sur les droits sociaux
En France, l’industrie textile a perdu environ 70% de ses effectifs depuis 19902 et 96% des produits sont importés depuis l’étranger3. Le fonctionnement de cette industrie délocalisée se fonde sur un évitement des standards sociaux et sur une exploitation systématique des travailleur·euses du secteur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au Bangladesh, les travailleur·euses de l’industrie de la mode sont payé·es 83€ par mois en moyenne, alors que le salaire minimum vital est estimé à 497€4. L’effondrement du Rana Plaza5 en 2013, triste symbole de ce malaise de la mode, avait provoqué un réveil des consciences. Cependant, 10 ans plus tard, la régulation et l’encadrement du secteur se font toujours attendre…
Surproduction et exploitation des droits humains sont les deux faces d’une même pièce !
Pour garantir de vrais standards sociaux et des conditions de travail décentes, il est urgent de s’attaquer à l’origine du problème, c’est-à-dire la surproduction.
Fast-fashion et environnement : l’équation impossible
L’industrie textile, c’est jusqu’à 10% des émissions mondiales de CO2 6 !
Toutefois, l’impact de l’industrie textile sur l’environnement ne se mesure pas qu’en quantités d’émissions de gaz à effet de serre. Cette industrie concentre aussi 11% de l’utilisation des pesticides au niveau mondial et 1/5 de la pollution des cours d’eau7. Toujours plus produire, c’est toujours plus détruire !
Bon diagnostic, mauvais traitement
Les alertes sur les conséquences environnementales de l’industrie textile mondialisée ne datent pas d’hier. Si le constat est juste, les solutions apportées sont pourtant loin d’être à la hauteur. En effet, les beaux discours des grandes marques sur l’amélioration de la circularité de leurs produits (reprise des vêtements, fibres recyclées ou mise en avant de labels environnementaux) se multiplient. Or, rappelons qu’aujourd’hui, seulement 1% du textile recyclé peut être utilisé pour reproduire du textile de même qualité8. Ainsi, en France, 95 % des textiles collectés en vue d’être réemployés (plus de 13 000 tonnes par mois) sont exportés. Dans la majorité des cas, ils terminent comme déchets enfouis ou brûlés au Pakistan, en Tunisie ou en Haïti.
Par ailleurs, les technologies de recyclage sont encore trop immatures et malheureusement incapables de gérer les quantités de déchets textiles collectées. Les quantités de vêtements mis en marché augmentent bien plus vite que les capacités de valorisation, qui restent minimes : entre 2013 et 2021, le volume de vêtements mis en marché en France est passé de 552 000 à 715 000 tonnes, quand les capacités de valorisation (à savoir réemploi et recyclage) passaient de 131 000 à 171 000 tonnes seulement. Ce sont donc 65% des vêtements mis en vente qui ne peuvent pas être revalorisés s’ils venaient à être jetés.
En somme, les réponses politiques, cantonnées jusqu’ici à des efforts de circularité et de valorisation des produits et sans encadrer les quantités mises en marché, ne sont qu’un pansement sur une hémorragie. Pour faire émerger une production textile locale, durable et vraiment respectueuse des droits humains et de l’environnement, un encadrement strict s’impose !
Offrons au secteur textile un nouveau look
Entré en vigueur le 1er janvier 2023, un nouveau cahier des charges encadre les producteurs de textile. Si le texte a le mérite de fixer des objectifs ambitieux de recyclage et réemploi, et d’inciter à la production de vêtements durables, il ne pose aucun cadre sur les volumes de production et n’instaure aucune pénalité sur les niveaux de production trop élevés ou non soutenables (tant humainement qu’écologiquement). Il faut aller plus loin !
Le nouveau visage du secteur textile passera par 5 grandes mesures :
- Plafonner et réduire les quantités de vêtement mises en marché
- Exclure les produits polluants et issus de l’exploitation humaine
- Pénaliser les incitations à consommer
- Rétablir une équité entre les acteurs physiques et le e-commerce
- Interdire les livraisons aux clients depuis des espaces de stockage situés à l’étranger
Par rapport à une production chinoise, chaque kilo de textile produit en France réduirait de moitié son empreinte carbone9, en plus de créer des emplois dûment rémunérés et garantissant des standards sociaux.
Ce qu’il faut retenir
Pour réguler les coûts sociaux et environnementaux de l’industrie textile, la priorité doit aller à la relocalisation de la production (via un soutien de l’État à l’industrie du textile français) et à la réduction des volumes de production.
Textile, pour en découdre avec la surproduction
Kantar Worldpanel. Fin juin 2021, le prix moyen d’un produit acheté chez Shein était de 7,5€, contre 10,2€ pour H&M et 22,7€ pour Zara.
Jérôme Payet, Assessment of Carbon Footprint for the Textile Sector in France. Sustainability 2021, 13, 2422.
ActionAid, Victimes de la Mode, septembre 2022.
Rana Plaza, la mort de l’industrie. Le Monde, 26 mai 2013.
Quantis & The Climate Works Foundation, Measuring Fashion, 2018.
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Mesurer la durabilité des systèmes de culture du coton, 2015.
Ellen MacArthur Foundation, A new textile economy, redesigning fashion’s future, 2017.
Jérôme Payet, Assessment of Carbon Footprint for the Textile Sector in France. Sustainability 2021, 13, 2422.