Total stockerait 120 000 tonnes de CO2 en zone sismique à Lacq
Jacques Mauhourat, président de la SEPANSO - Béarn (fédération régionale des associations de protection de la nature de la région Aquitaine), analyse le projet expérimental de captation et de stockage de carbone à Lacq (Pyrénées Atlantiques).
La Baleine : Bien que le gaz et le pétrole de Lacq soient pour ainsi dire épuisés, Total n’oublie pas ce site historique…
Jacques Mauhourat : Le groupe Total a en effet été chargé par l’Etat d’un projet expérimental de captation et de stockage de carbone (CSC) utilisant un ancien gisement de gaz situé au puits de Rousse,
sur la commune de Jurançon, au coeur de l’AOC du même nom. Le CO2 serait acheminé sur 27 kilomètres avant d’être pressurisé et enfoui. Il proviendrait du bassin de Lacq, serait produit dans une chaudière existante, à partir de la combustion de gaz commercial, en présence
d’oxygène, afin de limiter la production d’oxydes d’azote. Cette expérimentation, si elle est menée à son terme, pourra donner à Total la capacité de breveter cette technique afin d’attaquer l’immense marché de stockage de carbone, notamment en Asie du Sud-est. Le projet a débuté début 2007 dans le cadre d’un projet de recherche de
l’ADEME et du CNRS, et a été confié à Total, qui a organisé trois réunions
locales pour le présenter. Aucune commission du débat public n’a été
instituée. L’enquête publique ouverte en mai 2008 a été menée au pas de charge et le préfet a signé l’arrêté d’autorisation enregistrant l’expérience sous le régime du droit minier. Cet artifice permet d’échapper à
une directive européenne de 2008, non transcrite pour l’heure en droit français et beaucoup plus contraignante, et confie l’avenir du site à l’Etat, donc aux frais des contribuables.
LB : Quelles sont les réactions ?
Jacques Mauhourat : La SEPANSO – Béarn et Aquitaine, et l’Association des Coteaux de Jurançon Environnement, soutenues par France Nature Environnement, ont déposé un recours en annulation devant le Tribunal
administratif de Pau. Les risques industriels et sanitaires sont potentiellement importants. Total stockerait 120 000 tonnes de CO2 dans
la zone sismique de Lacq. Alors qu’un relargage de CO2 a entraîné la mort de 1 700 personnes autour du lac de Nyos (Cameroun) en 1986, aucune étude sérieuse n’a été menée sur les risques sanitaires en cas de fuites majeures. Le stockage pourrait en outre s’avérer instable si le CO2 sous pression entrait au contact de l’eau, des études scientifiques
ont montré que 90 % du CO2 stocké dans des couches géologiques profondes va se dissoudre dans l’eau et peut ainsi être
rejeté en surface.
La capacité de stockage ne représente qu’une très faible part des émissions locales, et le procédé entraînerait, selon Total, une hausse de 40 % de la consommation de la centrale. Les 11 projets de CSC en cours dans le monde ne permettraient de stocker que 0,06 % de la production mondiale de CO2. Les projets de CSC arrivent en bout de chaîne, se contentent de stocker et non d’éliminer et s’opposent à la sobriété et à l’efficacité énergétiques. Le véritable objectif est d’entériner la hausse future des émissions et de justifier la construction de nouvelles
centrales thermiques au charbon.
Par ailleurs, les députés Christian Bataille et Claude Birraux, ont remarqué dans leur « rapport sur l’évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d’énergie » de mars 2009 que 26 millions d’euros en dépense publique ont été investis en 2006 dans les projets de CSC contre seulement 4 millions dans la géothermie ou l’éolien, cela sans débat public. Nos associations réclament donc aujourd’hui un
moratoire sur le projet, l’organisation d’un débat public et parlementaire et une expertise des risques indépendante.
> PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT HUTINET