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12 octobre 2017

Touche pas à ma terre !

Depuis une quarantaine d’années, le renforcement des politiques néolibérales, véhiculées par plusieurs organisations internationales (Banque Mondiale, FMI et OMC), a eu pour conséquence la libéralisation des marchés, notamment agricoles, censée résoudre les problèmes de pauvreté et de faim dans le monde.

Or, en favorisant l’essor d’un modèle d’agriculture productiviste, ces politiques ont accéléré la déstructuration des agricultures vivrières et traditionnelles des pays du Sud, pourtant les seules à même de nourrir efficacement les populations qui ont faim.

La suprématie du modèle productiviste, conjuguée aux récentes crises alimentaire, agricole, financière et économique, ont de graves conséquences sur la gestion des terres cultivables, avec un phénomène d’accaparement des terres qui ne cesse de s’amplifier. Alors que celles et ceux qui souffrent de la faim sont pour la plupart des paysan·ne·s, les États et entreprises s’approprient des millions d’hectares de terres pour satisfaire leurs intérêts économiques et stratégiques.

Depuis sa création dans les années 1980, ActionAid France – Peuples Solidaires s’est saisie de la question de l’accès à la terre et l’a inscrite au coeur de ses préoccupations, notamment en soutenant dès cette époque les luttes des paysan·ne·s sans terre au Nord comme au Sud. Nous demandons l’arrêt des accaparements de terres, la consultation des populations sur les projets d’investissement et la mise en place de régulations contraignantes. Avec nos Appels Urgents auxquels répondent des milliers de citoyen·ne·s nous avons ainsi soutenu et soutenons celles et ceux qui luttent pour sauvegarder leurs terres.

Les agrocarburants industriels qui aggravent la faim

En 2010, les populations de la région de Malindi au Kenya sont alertées par des fumées inhabituelles émanant de la forêt de Dakatcha. Elles comprennent que des bulldozers ont commencé à raser les arbres : une entreprise italienne, Nuove Iniziative Industriali SRL, venait d’obtenir l’accord des autorités pour exploiter 50 000 hectares de terres afin de produire du jatropha, une plante dont l’huile sera utilisée comme carburant. Suite à la mobilisation d’organisations de la société civile, les autorités kenyannes ont décidé de ne pas accorder l’autorisation permettant la réalisation du projet. Vingt mille personnes menaçaient d’être déplacées et l’équilibre écologique de la région était gravement menacé.

Des milliers de paysan.nne.s chassés.e.s par un projet du G8

L’entreprise suédoise EcoEnergy projetait d’accaparer 20 000 hectares pour produire du sucre dans le district de Bagamoyo en Tanzanie provoquant le déplacement des milliers de personnes vivant sur et de ces terres : un projet phare de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Lancée par le G8 en 2012, elle est une initiative controversée en matière d’investissement dans l’agriculture africaine. Elle demande aux États africains d’encourager le secteur agroindustriel en lui facilitant l’accès aux semences, à la terre, à l’eau, à la main d’oeuvre et aux marchés, trop souvent au détriment des communautés locales. La mobilisation internationale a incité l’un des principaux bailleurs, l’Agence suédoise de coopération internationale au développement, à retirer son soutien au projet et l’entreprise EcoEnergy a alors suspendu
ses opérations.

Daewoo fait main basse sur la terre

Bien souvent, les paysan·ne·s malgaches n’ont pas de titres de propriété officiels et des sociétés étrangères en profitent pour s’accaparer les terres avec la complicité d’autorités peu scrupuleuses. Fin 2008, une entreprise coréenne annonçait ainsi qu’elle avait signé un bail de 99 ans sur 1,3 millions d’hectares. Une vraie menace pour la sécurité alimentaire de milliers de paysan·ne·s. Un Appel Urgent soutenu par Les Amis de la Terre avait rendu public cette situation et fait pression sur l’entreprise Sud-Coréenne. Le Collectif de défense des terres malgaches avait mobilisé très fortement dans le pays et à l’étranger, notamment lors du Forum mondial sur l’accès à la terre. Suite au changement de gouvernement, le nouveau Président avait finalement annoncé que le projet était caduc.

Les multinationales se sucrent, les populations trinquent

Plus de 60 000 personnes avaient signé un Appel Urgent décisif contraignant la Commission européenne et le gouvernement du Cambodge à lancer une enquête sur les violations des droits des communautés cambodgiennes expropriées au bénéfice des compagnies sucrières qui implantent leurs productions. Douze mille personnes spoliées, deux villages détruits, onze mille hectares de champs et vergers saisis : tels étaient les faits que nous dénoncions. Or ces violations étaient encouragées par les avantages commerciaux que l’Union européenne consent au sucre cambodgien dans le cadre de l’initiative « Tout sauf les armes ». Depuis 2014, l’Union européenne a lancé une démarche afin de résoudre les conflits fonciers et indemniser les populations locales pour les dommages subis.

Un des messages principaux du Forum Mondial sur l’accès à la terre et aux ressources naturelles tenu en 2016 à Valencia en Espagne :

« L’éviction des paysans et des autres utilisateurs communautaires et familiaux des ressources naturelles est un problème aussi grave que le changement climatique. Il appelle une orientation générale radicalement différente dans le domaine des politiques publiques et des règles touchant à l’agriculture, aux droits fonciers, à l’investissement et au commerce. Cette orientation doit accorder un accès prioritaire et sécurisé aux terres et ressources naturelles et aux autres moyens de production pour tous ces utilisateurs ainsi, pour ceux qui nécessitent des débouchés sur les marchés, que des conditions leur garantissant des prix rémunérateurs. »

Birthe Pederson, présidente d’ActionAid France

Crédit photo : FOEI