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Multinationales
16 juin 2016

Une réalité hondurienne qui dérange

GUSTAVO CASTRO SOTO,membre des Amis de la Terre Mexique, s’est retrouvé au cœur d’un terrible thriller lorsqu’il est venu donner une formation à ses collègues écologistes honduriens, qui se battent depuis 10 ans contre un projet de barrage dont les populations locales ne veulent pas.

La journée du 2 mars aurait pu être une journée bien ordinaire. Gustavo animait ce jour là une formation sur les énergies renouvelables avec une ONG hondurienne, le COPINH (Civic Council of Popular and Indigenous Organizations of Honduras). Il souhaitait apporter son aide et son expertise au peuple “Lenca” pour construire une alternative à un grand projet hydraulique sur leur territoire de vie.

C’était en 2006… quand tout a basculé. Au bord « del Rio Gualcarque » – la rivière dont ils sont les Gardiens Ancestraux – les Lenca ont vu débarquer des engins de chantier. Un projet énergétique monumental avait été décidé ici, sans eux. Le projet de barrage, Agua Zarca lancé par la compagnie nationale hondurienne, Desarrollos Energéticos SA (DESA) et soutenu par des financeurs étrangers venait de trouver son terrain de jeu privilégié.

Dans sa stratégie de développement de projets industriels et énergétiques, le gouvernement hondurien a privatisé de nombreuses rivières et terres déplaçant des familles entières. Loin de répondre aux exigences des traités internationaux, les projets sont décidés sans consentement libre, préalable et informé des populations affectées.

Face à l’urgence, des habitants ont alors interpellé le COPINH qui travaillait déjà sur l’exploitation forestière illégale et la protection du cadre de vie des Lencas. Berta Caceres, coordinatrice de l’association, a mis toute son énergie au service d’une campagne contre le projet de barrage « Agua Zarca » : rencontres avec le gouvernement, organisation d’une assemblée et d’un vote sur le projet de barrage, plainte auprès de la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, alerte auprès des financeurs du projet (la société financière internationale, IFC, branche de la banque mondiale), blocage pacifique d’une route pour empêcher l’accès au site des engins, etc. Ces différentes actions ont permis d’empêcher la construction du barrage et le retrait de deux acteurs du projet, l’entreprise chinoise Sinohydro et le financeur IFC. En 2015, Berta Cáceres a gagné, sur ce combat de 10 ans, une récompense internationale : le prix Goldman de l’environnement.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, face à la détermination pacifiste, le gouvernement et l’entreprise ont répondu par la force, militarisant la région avec le déploiement de troupes nationales et de milices privées. Les drames se sont alors succédés. Tomas Garcia, un militant du COPINH, a été tué par balle lors d’une manifestation non-violente devant les bureaux d’Agua Zarca. D’autres militant-e-s ont été emprisonné-e-s et torturé-e-s. Berta Cáceres et sa famille ont reçu une trentaine de menaces de mort.

C’est dans ce contexte que Gustavo fait sa formation. Il est hébergé chez son amie Berta. Le soir, alors que chacun travaille dans sa chambre, Gustavo entend des bruits et un terrible coup de feu. Surpris, il voit surgir un homme armé qui lui tire dessus. Il s’écroule… et, ultime instinct de survie, fait le mort. Gustavo se relève, constate ses blessures et se précipite dans la chambre de son amie Berta. Elle mourra quelques minutes plus tard.

Sans doute en état de choc et profondément attristé par l’assassinat de son amie, il est interrogé par la police. Elle privilégie d’abord la piste du « crime passionnel » ou d’un règlement de compte entre membres du COPINH. De victime, le voici bourreau. Pendant deux jours, on lui montre des photos des membres du COPINH pour qu’il les accuse. On l’empêche de dormir ou de se changer. Enfin libéré, il se réfugie à l’ambassade du Mexique au Honduras…

Il aura fallu 11 jours pour que la police creuse une autre piste et enquête au siège de l’entreprise nationale « DESA ».

Gustavo est à l’aéroport… Il a obtenu l’autorisation de rentrer au Mexique. Il va pouvoir retrouver forces et soutiens auprès des siens. Mais la police hondurienne ne l’entend pas de cette oreille et l’interpelle au motif de rester à disposition des enquêteurs. L’ambassadeur du Mexique le ramène à l’abri.

Pendant ce temps-là, et malgré la pression internationale, la répression continue sur le territoire Lenca. Le 15 mars, cent cinquante familles paysannes et indigènes ont été expulsées de force des terres qu’elles occupaient depuis plus de dix ans. Ces familles étaient en train de régulariser leur droit de propriété quand le terrain a été acheté illégalement pour favoriser les intérêts des entreprises hydroélectriques. Nelson Garcia, un autre membre du COPINH, était là lors de cette violente expulsion. Sur le chemin du retour, il est tué par balle.

Face à cette répression sanglante, la société civile du monde entier se mobilise pour demander la libération de Gustavo, une enquête indépendante sur les deux meurtres et l’abandon du projet de barrage Agua Zarca. Pour faire pression, Les Amis de la Terre Europe ciblent plus particulièrement les financiers européens, le néerlandais FMO (15 millions de dollars de prêt) et le finlandais Finnfund (5 millions de dollars). Ceux-ci, déjà informés à de multiples reprises des controverses autour du projet Agua Zarca, ne doivent plus fer-mer les yeux.

En réaction, les entreprises suspendent temporairement leurs versements avant d’annoncer vouloir se retirer. L’entreprise allemande Voith qui doit fournir les turbines hydroélectriques en fait de même. Bien sûr, ces entreprises se défendent de toute implication dans les meurtres de Berta et de Nelson. Mais est-ce si évident… Pour Gustavo « Finnfund et FMO sont en partie responsables de la violence et du meurtre de Berta Cáceres. Financer le projet Agua Zarca a contribué à provoquer les menaces continues et la répression vis-à-vis du COPINH. Ils ont financé le projet sans rechercher l’avis du peuple Lenca, violant leurs droits. […] Ils doivent s’assurer de ne pas refaire la même erreur sur d’autres projets ».

L’enquête indépendante réclamée par le COPINH avec la participation d’une commission de la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, n’a pas eu lieu… Sur place, quatre suspects liés à l’entreprise ou au gouvernement ont été identifiés début mai : un ingénieur intervenant sur le projet Agua Zarca, un ancien militaire devenu chef de la sécurité chez DESA et deux ex-militaires…

« Le gouvernement hondurien est impliqué de trop près dans le meurtre de ma mère pour mener une enquête indépendante.C’est le gouvernement qui a demandé la construction du bar-rage et qui a envoyé les militaires et la police pour travailler avec les gardes de DESA qui ont menacé ma mère » rappelle Laura Cacéres.

Et puis il y a toujours ces femmes et ces hommes courageux qui poursuivent la lutte et qui sont toujours en danger. Comme le rappelle Adriana Beltrán, membre de Citizen Security, une association de protection des droits humains, si Berta a été tuée malgré sa renommée internationale, les risques que courent les militants moins connus sont encore plus graves.

Cette histoire dramatique pour Berta et sa famille, pour Nelson et Gustavo, pour les membres du COPINH et le peuple Lenca témoigne de deux choses : tout d’abord, elle montre les dangers que courent les militants écologistes qui s’opposent aux puissants de ce monde, entreprises et gouvernements. Ensuite, elle montre que le modèle dominant est celui d’un supposé « développement » destructeur de l’environnement, qui ne respecte pas les droits humains et les valeurs d’un peuple. Pour beaucoup, c’est encore impossible d’imaginer une alternative non-productiviste. Ainsi le communiqué de presse de FMO annonçant sa possible sortie du projet affirmait que l’abandon du projet « allait priver les communautés locales (…) d’une énergie propre dont ils ont besoin et d’emplois ». Et ce, malgré l’absence réitérée de soutien des populations. Qu’une banque décide du « bien » des gens contre leur gré est tout simplement inacceptable, et c’est ce que les Amis de la Terre, partout dans le monde, combattent.


Gustavo Castro Soto est le fondateur et le coordinateur des Amis de la Terre Mexique-Otros Mundos Chiapas. Il a commencé sa carrière il y a 30 ans en tant que militant des droits humains, engagé auprès de réfugiés guatémaltèques au Mexique puis médiateur dans le conflit entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale et les autorités mexicaines. Son analyse du système économique l’a amené à travailler sur les grands projets – de mines, de barrages ou de monocultures. Ces grands projets, qui touchent généralement les populations autochtones, sont un enjeu commun à de nombreux pays latino-américains. C’est pourquoi, les Amis de la Terre Mexique font partie de nombreux réseaux associatifs, au sein desquels ils ont rencontré leurs collègues honduriens.