
Victoire ou Scandale(s) concernant l’autoroute A69 !
L’arrêt de l’A69 Toulouse-Castres est une victoire pour le respect du droit de l’environnement. Toute autre décision aurait été un scandale. Mais les pro-autoroute crient à leur tour au scandale. C’est ici un véritable tournant dans le choix de société qui se profile : Justice, ou Arbitraire(s) !
(Texte de Jean Olivier, Président des Amis de la Terre Midi-Pyrénées.)
Le jeudi 27 février 2025, le Tribunal Administratif (TA) de Toulouse a jugé illégales les autorisations environnementales du projet d’autoroute Castres-Toulouse A69/A680, impliquant donc l’annulation pure et simple, et l’arrêt immédiat, de ce projet et chantier d’autoroute écocidaire.
Toute autre décision aurait été un scandale
La bonne application du droit de l’environnement et de la nature ne pouvait que conduire à cette décision du Tribunal Administratif. Il est en effet strictement interdit par la loi (article L411-1 du Code de l’Environnement) de détruire de la biodiversité protégée (à savoir des espèces végétales ou animales et leurs habitats naturels), à moins de disposer d’une autorisation environnementale valant dérogation à cette interdiction. Mais une telle dérogation n’est possible qu’à des conditions très strictes (prévues par l’article L411-2 du Code de l’environnement) impliquant de démontrer l’absence de solution alternative pour répondre aux objectifs annoncés du projet destructeur, de garantir le maintien dans un bon état de conservation des espèces concernées, ailleurs dans leur aire de répartition, par des mesures de réduction des impacts négatifs et de compensation du projet destructeur et de démontrer une Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur (RIIPM) du projet, où chaque mot compte, et notamment le caractère ‘Impératif’ et le caractère ‘Majeur’ du projet.
Suivant les conclusions de la Rapporteure Publique, magistrate indépendante ayant pris le temps d’analyser le dossier et chargée de considérer la bonne prise en compte de la Loi, les trois juges compétentes du Tribunal Administratif de Toulouse ont donc choisi ensemble d’annuler ce 27 février 2025 les autorisations environnementales accordées par les préfets du Tarn et de Haute-Garonne début mars 2023 pour le lancement des travaux de l’A69/A680 Castres-Verfeil-Toulouse.
Les magistrates ont ainsi démontré très clairement dans leur jugement, de façon implacable, que ce projet autoroutier ne répondait pas à une Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur en retenant notamment le fait que, en l’absence d’autoroute, l’agglomération de Castres-Mazamet n’est pas en décrochage socio-économique par rapport aux autres villes moyennes de la Région qui bénéficient, elles, d’autoroute, et qu’il n’y a donc pas de nécessité ‘impérative’ à construire une autoroute, et que les éventuels gains d’une telle autoroute sur le temps de trajet ou la sécurité routière ne seraient au demeurant pas ‘majeurs’. Le jugement ne s’est donc même pas embarrassé d’examiner les autres motifs d’illégalité, tels que les non-recherches de solutions alternatives (dont l’amélioration de la route existante, un autre tracé, ou le cadencement des trains).
Une autre décision que cette annulation des autorisations environnementales aurait été un pur scandale juridique et la fin de l’Etat de droit environnemental de la République française, tellement les motifs d’illégalité et d’absence de Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur, mais aussi d’absence de recherche de solutions alternatives pourtant existantes et de médiocrité des mesures de réduction et de compensation des impacts destructeurs sont ici flagrantes.
Le temps long pour juger l’urgence
Or, c’est désormais aux tenants et partisans de cette autoroute de crier à un supposé ‘scandale’ en ne comprenant à l’évidence pas que c’est simplement la bonne application du droit le plus essentiel et fondamental qui conduit à cette annulation, ou, plus grave et scandaleux, en remettant en cause la séparation fondamentale et essentielle des pouvoirs au sein d’une République démocratique et le rôle de la Justice administrative (pouvoir juridique) qui vient contrôler la légalité des actes et autorisations prises par les Préfet.es et les élu.es (pouvoir exécutif).
On peut entend que personne ou pas grand monde ne comprenne, ou ne veuille comprendre, que cette décision d’annulation n’intervienne que maintenant, deux ans après le démarrage effectif des travaux, car correspondant à un contrôle de légalité sur le fond, et sur le contenu de l’ensemble du dossier, que les juges administratifs exercent à posteriori et selon le temps, lent, de la Justice.
C’est là, en effet, une question essentielle et paradoxale de notre droit qu’il serait impératif de faire évoluer, dans le sens de ce que réclamait d’ailleurs une tribune de juristes et professionnels du droit de l’environnement début janvier 2025.
En pratique, cette situation fait ici apparaître une contradiction forte, et à notre sens anticonstitutionnelle, en matière de droit administratif environnemental.
Par présomption simple, une autorisation environnementale délivrée par des préfets (par arrêté préfectoral) est considérée comme légale (même si tout le monde sait et voit bien qu’elle est entachée de multiples illégalités) tant qu’elle ne fait pas l’objet d’un contrôle de légalité par les juges administratif·ves sur le fond (de telles décisions arrivant souvent seulement plusieurs années après la délivrance de ladite autorisation).
Les possibilités de suspension des autorisations environnementales, en attendant le jugement au fond sur leur (il)légalité, sont également très peu opérantes car elles nécessitent que la partie contestant la légalité de l’autorisation fasse elle-même la démonstration du doute sérieux portant sur cet acte administratif et du caractère urgent à suspendre cet acte. C’est pour cela que l’ensemble des référés suspensions (jugements du doute sérieux et de l’urgence) tentés par les opposants à l’A69 depuis mars 2023 avaient tous été rejetés par les juges de l’urgence, qui n’avaient pas rejeté les recours en validant la légalité de l’autoroute (contrairement à ce qu’essaient de faire croire les tenants de l’autoroute) mais simplement sur le fait qu’il leur manquait des éléments et du temps pour pouvoir analyser un dossier aussi important.
Or, ce contrôle de légalité par les juges s’exerce a posteriori et en faisant porter la charge de la preuve aux personnes contestant la légalité des autorisations environnementales, du fait des logiques propres à la Justice administrative conçue pour éviter les blocages a priori des décisions de l’État ou des collectivités publiques, mais sans tenir compte ainsi des principes constitutionnels clés de « précaution » et de « prévention » inscrits dans la Charte de l’Environnement et donc dans la Constitution de la République française, puisque la Charte de l’Environnement est partie intégrante du bloc de constitutionnalité (depuis 2004).
En effet, sa bonne prise en compte au regard des principes de précaution et de prévention impliquerait d’attendre le jugement du contrôle de légalité des autorisations environnementales sur le fond avant tout démarrage de travaux destructeurs de biodiversité, de façon irréversible.
Précaution VS passage en force
C’est aussi l’obligation de respecter pleinement la séquence ERC, Eviter-Réduire-Compenser, qui s’impose enfin ici, en plaçant bien comme un préalable, à toute destruction éventuelle de biodiversité protégée, le fait de démontrer que tout a été fait pour l’éviter, et que le projet est donc indispensable, d’Intérêt Public, Impératif et Majeur et qu’il n’y a pas d’alternative possible.
Trop souvent, les porteurs de projets (inutiles), considèrent comme acquis une forme de droit à la compensation de leurs dégâts (sachant que l’efficacité même des mesures compensatoires reste à démontrer scientifiquement). La décision du TA de Toulouse vient donc rappeler de façon claire qu’il faut commencer par passer par la case ‘Eviter’ (qu’impose les engagements internationaux de la France).
Le cas de l’A69 appelle donc, ici et ailleurs, la nécessaire prise en compte de ce principe de Précaution et de Prévention, et du respect plein et entier de la séquence ERC, en commençant par clairement Eviter tout dégât irréversible, dans la manière dont sont données et considérées comme (il)légales les autorisations environnementales. Les juges des référés devraient également s’imposer ces principes clés et faire suspendre tout projet destructeur de biodiversité dès lors qu’ils sont saisis d’alertes et d’arguments un tant soit peu étayés (comme cela était ici très largement le cas).
Mais, en amont de cela puis malgré les oppositions sérieuses, les élu.es et les préfets, ainsi que les porteurs de projets destructeurs se montrent irresponsables en cherchant à passer en force alors que tous les feux sont au rouge, ou, au mieux, à l’orange clignotant.
Un volet pénal du dossier de l’A69 devra d’ailleurs faire toute la lumière sur les différentes (ir)responsabilités ayant conduit à voir un projet aussi clairement illégal être mis en oeuvre, avec d’ores et déjà plusieurs dépôts de plaintes avec constitution de partie civile, de la part de nos associations environnementales notamment, pour destruction de biodiversité en bande organisée, prises illégales d’intérêts, ou encore faux et usages de faux mettant en danger la vie d’autrui.
Dans le cas de l’A69, aucune des instances indépendantes devant être consultées avant la délivrance d’une autorisation environnementale n’avait donné un avis favorable. Le Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN) et l’Autorité Environnementale (AE) rattachée au Ministère de l’Ecologie, notamment, avaient donné des avis défavorables et/ou très critiques sur ce projet. Un ensemble d’autres alertes ou réserves avaient aussi été exprimées, mais les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne ont décidé de délivrer les autorisations environnementales, malgré tous ces avis contraires et alertes.
Le Concessionnaire ATOSCA / NGE Concessions a lui aussi décidé de démarrer les travaux dès la signature des autorisations environnementales (et même quelques jours avant, de façon illégale, s’agissant de bouchages de cavités à chauve-souris!), en sachant pertinemment qu’il courrait un fort risque d’annulation des autorisations environnementales (et sachant que nous démontrons en outre par ailleurs qu’il a obtenu ces autorisations en masquant certains éléments par faux et usage de faux, caractérisant là une ‘obtention d’acte administratif par fraude’ faisant l’objet d’une plainte pénale).
La responsabilité des acteurs publics
Aujourd’hui, le Ministre des transports (par ailleurs mis en cause dans des affaires judiciaires) vient dire qu’il considère comme ‘ubuesque’ la décision des juges du Tribunal Administratif de Toulouse, en faisant preuve là de dénigrement d’une décision de Justice (dénigrement répréhensible par la loi).
La Ministre de l’Environnement, dont le rôle est pourtant de défendre la bonne application du Code de l’environnement, annonce soutenir la demande faite aux Préfets de faire appel de la décision de première instance du Tribunal Administratif de Toulouse. Outre le fait qu’il est incompréhensible que la Ministre chargée de la bonne application d’une loi (l’article L411-2 du Code de l’environnement) veuille contester une décision de Justice ayant pour la première fois fait enfin application pleine et entière de cette loi dans un dossier d’une telle envergure que cette autoroute, il est aussi incompréhensible que des sommes soient engagées pour mener ces actions juridiques en appel par les services de l’Etat alors que les services chargés de faire respecter le Code de l’environnement sur le terrain, tel que l’Office Français de la Biodiversité (OFB), manquent cruellement de moyens.
La plupart des promoteurs et défenseurs de cette autoroute, tels que les Ministres ou que le Député du Tarn (dont les intérêts personnels concernant le tracé de l’A69 devront aussi être clarifiés par la Justice), invoquent le fait que le projet d’autoroute bénéficiait d’une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) ayant fait l’objet d’un arrêté ministériel en 2018, validé par le Conseil d’État, et qu’iels ne comprennent pas que les juges du Tribunal Administratif (TA) de Toulouse puissent dire aujourd’hui que le projet d’A69 est illégale car ne présentant pas de Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur (RIIPM).
Prééminence du droit de l’environnement
Or, comme l’a remarquablement exposé la Rapporteure Publique (en se référant à des avis et jurisprudences claires du Conseil d’État) : Déclaration d’Utilité Publique (DUP) ne vaut pas Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur (RIIPM). L’Utilité Publique ‘UP’ de la DUP vaut pour l’Intérêt Public ‘IP’ de la RIIPM mais elle ne suffit clairement pas à justifier le caractère Impératif et le caractère Majeur de cet Intérêt Public.
Une RIIPM, permettant de déroger à l’interdiction de destruction de biodiversité protégée, est ainsi bien plus exigeante qu’une simple DUP, permettant ‘seulement’ de procéder à des expropriations. Et cela est logique.
Une DUP vient juridiquement créer une dérogation au Droit de propriété, afin d’exproprier les parcelles situées sur le tracé d’un projet reconnu d’Utilité Publique, en venant, là, déroger le plus souvent à des intérêts privés de particuliers, propriétaires d’un patrimoine individuel plus ou moins important.
Une RIIPM vient déroger elle à une notion bien plus importante qui est celle de l’environnement (incluant la nature et la biodiversité) considéré dans la Charte de l’Environnement et donc dans la Constitution de la République française comme ‘patrimoine commun des êtres humains ’. Pour déroger à l’interdiction de détruire un patrimoine commun aussi essentiel, il est logique que les conditions soient extrêmement exigeantes, et bien plus que s’agissant d’un patrimoine individuel.
C’est cette prééminence du droit de la nature et de la biodiversité que les porteurs et défenseurs de tous ces grands projets inutiles ont jusqu’ici le plus souvent ignoré en considérant qu’une DUP allait suffire pour démarrer un projet en pratiquant une politique du fait accompli en tablant sur le fait que la Justice administrative arriverait en fin de course pour se prononcer sur la légalité des autorisations environnementales au regard de l’existence ou non d’une RIIPM, de solutions alternatives et de mesures suffisantes pour garantir le maintien de la biodiversité dans un bon état.
Les magistrates du Tribunal Administratif de Toulouse ont enfin fait reconnaître ce 27 février 2025 le droit de l’environnement, et plus précisément ici le doit de la nature et de la biodiversité, au niveau où il doit être considéré, à savoir celui, constitutionnel, d’un patrimoine commun essentiel et fondamental. Et cela est salutaire au moment où nous vivons une sixième extinction massive de biodiversité, bien plus grave et rapide que les précédentes, alors que la biodiversité est notre assurance vie à toutes et tous, et que chaque portion de biodiversité, d’espace boisé, de zone humide, de prairie, de cours d’eau, de mare et toute autre composante de la biodiversité qui nous entoure est plus que précieux.
L’A69 enfin enterrée !
Alors, l’État (par la voix des Préfets, du Ministre des Transports et de la Ministre de l’Environnement) annonce s’apprêter à faire appel de la décision de première instance du Tribunal Administratif (TA) de Toulouse, et d’accompagner cet appel devant la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Toulouse d’une demande de ‘sursis à exécution’ afin de permettre la reprise des travaux d’ici le jugement en appel.
Outre le fait que les départs des engins de chantier dès le lendemain du délibéré de ce jeudi 27 février 2025 illustrent le fait que les promoteurs du chantier savent eux-mêmes que leurs chances de reprendre sont maintenant plus qu’infimes, il faudrait au demeurant que les promoteurs de l’autoroute avancent des argument sérieux pour obtenir un tel sursis à exécuter, en démontrant l’évidence de la légalité complète des autorisations environnementales et le fait que les juges de première instance auraient commis une erreur évidente d’appréciation.
Or, s’ils avaient eu des arguments un tant soit peu solides et sérieux pour cela, ils les auraient fait valoir à l’occasion de la réouverture (exceptionnelle) de l’instruction cet hiver, ce qu’ils ont été incapable de faire, devant l’évidente illégalité de leur dossier sur de multiples points !
Il n’y a donc pas davantage de chance qu’ils gagnent en appel.
Un éventuel pourvoi ensuite devant le Conseil d’État ne saurait que confirmer les conclusions de la Rapporteure Publique dont les détracteur.euses ont cru pouvoir la disqualifier au regard de son jeune âge et de sa courte expérience professionnelle, mentionnant notamment un stage… au Conseil d’État, avant de devenir magistrate et Rapporteure Publique en Tribunal Administratif, dont celui de Toulouse depuis quelques années. Ce cursus démontre au contraire que c’est l’état du droit le plus actuel et le plus en phase avec la doctrine du Conseil d’État que la Rapporteur Publique a exposé et que les juges du Tribunal Administratif de Toulouse ont décidé d’appliquer ce jeudi 27 février 2025.
L’A69 est donc belle et bien enterrée !
Il serait incompréhensible et très grave pour la nature et la démocratie qu’elle ressorte de terre !
Tourner la page, pour faire place à la nature et aux alternatives
Place maintenant à la reprise du territoire et de ses droits par la nature, qui sait bien souvent se réparer toute seule, au moins en partie, comme nous l’avait rappelé cette mésange bleue en mars 2024 venue arrêter un siège de près de 40 jours et la coupe d’arbres multi-centenaires sur le tracé, ou de la ripisylve qui rejaillit de souches le long du Tescou à Sivens, dix ans après la mort de Rémi Fraisse (pour laquelle la France vient d’être condamnée par la CEDH) et l’abandon du projet de barrage, là aussi inutile.
Il pourra être utile de venir aider, ponctuellement, la nature à se rétablir là où elle a été trop massacrée, pour lui permettre de retrouver toutes ses couleurs et ses odeurs, essentielles à la vie.
Place aussi à des mesures de réelle utilité publique, avec des alternatives existantes et que nous proposons depuis des mois, tel que le cadencement des trains ou des cars régionaux, ainsi que leurs interconnexions cohérentes et efficaces pour offrir à toustes les habitant.es du territoire des solutions de mobilité d’avenir.
Place en outre à une réelle concertation de territoire impliquant l’ensemble des habitant.es pour trouver ensemble la bonne manière d’aller intelligemment de l’avant.
Toulouse, le 05 mars 2025
Jean OLIVIER, Docteur en Écologie, Président de l’association les Amis de la Terre de Midi-Pyrénées
A69 jugée illégale : victoire historique pour le droit de l’environnement !