Vigne transgénique : quand les vilains faucheurs s’attaquent à une recherche innocente…
Le 15 août 2010, 60 faucheurs volontaires arrachaient des pieds de vigne OGM près de Colmar, dans un champ appartenant à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Parmi eux, des membres des Amis de la Terre.
Cet acte de désobéissance civile voulait dénoncer une expérimentation qui vise à rendre les OGM acceptables par le grand public. Fin septembre, les faucheurs comparaissaient devant le tribunal de Colmar (Haut-Rhin). Christian Vélot, membre du Conseil scientifique du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, nous livre son point de vue sur ces essais de l’INRA.
Les essais de vigne transgénique de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) de Colmar étaient prétendument réalisés à des seules fins de recherche et non à des fins commerciales – cela reste à être démontrer. Mais, en admettant qu’il s’agisse véritablement de recherche fondamentale, cela donne-t-il le droit de faire tout et n’importe quoi ? Certes, il ne s’agit pas ici de plante-pesticides (ni productrice d’un insecticide, ni tolérante à un herbicide) comme le sont plus de 99 % des OGM agricoles. Est-on sûr de l’innocuité de cette vigne au point de se permettre de faire des essais en plein air!? Il faut savoir qu’à l’instar de toutes les plantes transgéniques conçues pour résister à des virus, elle est un véritable réservoir à virus recombinants.
Un réservoir à virus
Dans ce type de plantes transgéniques, le transgène est un gène viral. La présence de ce transgène protège la plante contre le virus en question et les virus apparentés. Or les virus ont une très grande capacité à échanger spontanément leur matériel génétique (phénomène de recombinaison). Par conséquent, quand cette plante est victime d’une infection virale, il peut se produire très facilement des échanges entre le matériel génétique (ADN ou ARN [1]) du virus infectant et le transgène viral (ADN) ou sa version ARN. Cela conduit à l’apparition de virus dits recombinants, dont on ne maîtrise rien et qui vont pouvoir se propager dans la nature.
Avec des plantes conventionnelles, une telle situation ne peut se produire que si la plante est infectée simultanément par deux virus. Avec ces plantes transgéniques, un seul virus suffit. De tels essais à ciel ouvert font donc courir des risques considérables.C’est d’ailleurs très drôle de constater la contradiction de l’Inra sur cette question.
Dans un article, paru dans Le Monde daté du 16 août 2010, l’institut dit, à propos des faucheurs : “Ils contribuent à répandre
la peur en évoquant des risques environnementaux qui n’existent pas sur cet essai, alors que l’Inra essaie de déterminer, en toute indépendance, la pertinence et les risques éventuels de ce type de technologie dans la lutte contre le court noué [maladie de dégénérescence de la vigne].” L’Inra fait des essais pour déterminer les risques mais affirme que les risques n’existent pas !
Encore une fois, la planète n’est pas une paillasse de laboratoire. Pourquoi ne pas faire ces essais au moins sous serre, dans les conditions de confinement appropriées ? Toute demande de manipulation d’organismes génétiquement modifiés en laboratoire faisant courir le moindre risque d’apparition de virus recombinants se verrait exiger un confinement de niveau 2 minimum (il existe essentiellement trois niveaux – 1, 2 et 3 – de confinements pour la manipulation d’OGM). Le plein air, c’est le confinement zéro ! Ce n’est pas une bâche dans le sol pour isoler la terre de la parcelle ni la suppression des inflorescences [2] qui peuvent garantir la non-propagation d’éventuels virus recombinants. Un essai en plein air doit être une simulation et ne doit pas faire courir de risques. Quand on fait une simulation d’une attaque chimique dans le métro pour entraîner la coordination des secours, on met tous les ingrédients mais on ne met pas l’agent chimique!!
Des solutions naturelles
Par ailleurs, on nous dit qu’il n’existe pas de solution contre le court noué, si ce n’est de tuer les nématodes (ces vers microscopiques du sol qui transportent le virus et le transmettent au pied de vigne) avec des produits fortement toxiques. Certes, il n’y a pas de solution directement sortie des laboratoires, mais il existe en revanche des pratiques culturales qui permettent de s’affranchir du court noué, telles que la culture de plantes nématicides (ou nématifuges). Ces plantes secrètent par leurs racines des substances qui affaiblissent ou chassent les nématodes.
Par ailleurs, sans même avoir recours à ces plantes, certains viticulteurs ne sont pas ou peu embêtés par le court noué. Il y a donc de véritables pistes à exploiter qui conduiront à des stratégies subtiles, durables et moins invasives que l’artillerie lourde des OGM. Cet exemple soulève une fois de plus la nécessité de développer la recherche participative à laquelle les viticulteurs contribueraient activement. Leur implication ne se réduirait pas à siéger dans un comité de suivi de la mise au point d’une technologie – qui leur sera ensuite servie clés en mains pour qu’ils s’empressent d’oublier leurs bonnes vieilles pratiques paysannes, respectueuses de l’environnement. Faut-il qu’une solution à un problème agronomique sorte d’un labo pour qu’elle mérite d’être qualifiée de progrès ? N’oublions pas que ce ne sont pas les chercheurs, ni même les agronomes, qui ont inventé l’agriculture, mais les paysans – qui sont d’ailleurs les premiers généticiensdu monde.
Ces essais n’étaient qu’un cheval de Troie pour l’ensemble des essais en plein air et pour l’acceptation des OGM et des
biotechnologies en général. Ainsi ce fauchage a le mérite de soulever la question fondamentale du choix des orientations
et des stratégies de recherche publique (ou de ce qu’il en reste).
Il est urgent de contrebalancer les politiques actuelles de recherche publique, trop exclusivement orientées vers des intérêts
mercantiles à court terme, pour remettre la recherche au service du bien commun. Les faucheurs ne sont pas des anti-science mais des alter-science.
> CHRISTIAN VÉLOT
Docteur en biologie, généticien moléculaire à l’université Paris-Sud 11.
Auteur de OGM : tout s’explique (éd. Goutte de Sable) et de OGM, un choix de société (éd. de l’Aube).
[1] L’acide ribonucléique (ou ARN) est une molécule très proche chimiquement de l’acide désoxyribonucléique (ou ADN). Il est indispensable à la synthèse des protéines.
[2] Mode de groupement des fleurs sur une plante (par exemple : grappe, épi…)