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Climat-Énergie
13 décembre 2016

We want climate justice !

Des réfugiés qui fuient leur pays. Des murs aux frontières pour les arrêter. Des avions pour les expulser. Des justifications haineuses motivées par la peur, le repli sur soi… L’Europe est face à son histoire !

Outre les guerres, la misère ou les tensions ethniques ou religieuses, le dérèglement climatique pourrait déplacer des centaines de millions de personnes sur la planète. Il en déplace déjà. Qui sontelles et quel accueil leur sera réservé par les pays qui les ont historiquement plongés dans cet enfer ?

Asad Rehman des Amis de la Terre International nous livre un point de vue rarement entendu sur l’interconnexion entre justice raciale, sociale et environnementale. Il s’appuie pour cela sur des faits, rien que des faits.

Le 6 septembre 2016, de jeunes militant-e-s du mouvement BLACK LIVES MATTER bloquent l’aéroport de la City en Angleterre alors en projet d’expansion. Une action forte visant à démontrer que la crise climatique qui se joue est aussi une crise raciste puisqu’elle affecte d’avantage les gens de couleur. Pour elles comme pour eux, ce lieu est un des symboles de cette injustice : un espace réservé à une poignée de privilégié-e-s dont le mode de vie contribue au dérèglement climatique ; un symbole du mode de consommation des pays du Nord qui affecte les conditions d’existence de milliers de personnes dans les pays du Sud… Mais aussi un espace qui prive les réfugié-e-s d’un accès digne au territoire Européen ; un comble quand on s’intéresse aux causes de leur exode. Cette action a été soutenue par les Amis de la Terre Angleterre, Pays de Galles et Irlande du Nord soucieux-ses de retisser le lien entre justice raciale, sociale et climatique. Mais ça ne passe pas dans l’opinion. Cette convergence des luttes est mal reçue, mal perçue. Pourtant, les faits sont là… Oui, l’Europe est responsable : responsable, par ses choix, du dérèglement climatique ; responsable, par son inertie, de la mort des réfugié-e-s qui tentent de la rejoindre ; irresponsable dans sa façon de répondre à ces enjeux planétaires.

Oublier les impressions, considérer les faits

Les faits ne suffisent plus pour changer l’avis des gens. Mais ce « difficile » constat ne doit pas nous empêcher au moins de les écouter, voire de les considérer. En voici un. Nous venons juste de vivre un record : les plus hautes températures à l’échelle du globe ont été enregistrées pendant 14 mois consécutifs. La disparition de la mer de glace en Arctique et le blanchissement de la Grande Barrière de corail sont les dernières réalités auxquelles nous devons faire face. Les scientifiques l’annoncent : le niveau de la mer pourrait augmenter de 3 mètres d’ici 2065. Il nous suffit de penser à la localisation de certaines des plus grosses villes du monde – Rio, Mumbai, Hong-Kong ou Shanghai – pour saisir toute la portée de ce chiffre. À cela s’ajoute l’intensification des sécheresses et des inondations, la multiplication des super typhons et des ouragans et son cortège de désastres pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau potable. Ces facteurs conduisent irrémédiablement au déplacement forcé de millions de personnes et à une augmentation des conflits. Plus qu’une prédiction, cela se passe maintenant : le typhon Haiyan qui a touché les Philippines en 2013 a laissé derrière lui 7 000 morts et 2 millions de personnes sans abri. Les inondations au Pakistan en 2010 ont affecté 20 millions de personnes. Cette année l’Inde et le Pakistan ont connu une vague de chaleur de 51°C tandis qu’au Sahel la sécheresse a affecté 23 millions de personnes dont 3,5 millions contraintes de se déplacer. Une seule tempête tropicale, Erika, qui a touché la République dominicaine l’année dernière, a suffi pour faire reculer de 20 ans les avancées en matière de développement. Tout ceci se déroule alors que l’augmentation de la température moyenne n’est (que) de +1 °C. C’est difficile d’estimer précisément combien de vies sont perdues chaque année à cause du changement climatique, ou combien de communautés sont détruites. Certains chiffres estiment qu’il y aurait 700 000 morts additionnelles par an, et le changement climatique attise toutes les inégalités existantes dans le monde.

Qui sont les gens qui meurent et qui est responsable ?

C’est la grande injustice du changement climatique : celles et ceux qui sont les moins responsables de la crise climatique sont celles et ceux qui en souffrent le plus. Les pauvres, les marginalisé-e-s, les communautés indigènes sont en première ligne – et ce sont en majorité des gens de couleur dans les pays en développement. Et quand les États développés doivent faire face à des feux de forêt comme en Australie ou aux États-Unis, ou à des inondations comme en Europe, invariablement ils ont plus de ressources pour en gérer les impacts. Oui, c’est un fait, seulement 10 % de la population du monde est responsable de 50 % des émissions tandis que les 50 % les plus pauvres ne sont responsables que de 10 % des émissions. Un-e citoyen-ne moyen-ne des États-Unis – qui ne représente que 5 % de la population – a un revenu par habitant de 41 064 dollars et émet 17,3 tonnes de CO2. L’Inde – qui compte 18 % de la population globale, a un revenu par habitant moyen de 3 148 dollars et ses citoyen-ne-s sont responsables de 1,4 tonnes de CO2. Les pays les plus pauvres du monde – ceux que l’on appelle les moins développés – représentent 11 % de la population globale mais ont un revenu par habitant de 1 416 dollars seulement et l’empreinte moyenne de CO2 en Afrique est de 0,9 tonnes.

On a besoin des militants de Black Lives Matter pour plaider pour celles et ceux sont les voix sont ignorées

L’encre de l’Accord de Paris n’est pas sèche mais les politicien-ne-s ont convenu de chercher à maintenir l’augmentation de la température en dessous du seuil critique de + 1,5 °C. Un « objectif » qui ne mettra pas plus de 10 ans à être bafoué si nous continuons à ce train là. Dans un monde juste, les pays riches du Nord auraient décarboné leur économie depuis des décennies. La vérité, c’est qu’il n’est pas possible de rester sous la barre de 1,5 °C voir de 2 °C en construisant de nouveaux aéroports ou en exploitant de nouvelles énergies sales comme les gaz de schiste. C’est pourquoi les militant-e-s de Black Lives Matter avaient tout à fait raison quand ils disaient que le changement climatique tuait les personnes de couleur. Ils avaient tout à fait raison de mettre sous les feux des projecteurs l’aéroport et son monde. Les émissions de l’aviation ont augmenté globalement de 71,6 % entre 1990 et 2012, soit le même volume de CO2 émis que celui de l’Allemagne. Si l’aviation était un pays, il serait le 7e plus gros émetteur de CO2 mondial. C’est pourquoi ils ont fait cette action, et c’est pour ça que nous devons écouter leur message.

ASAD REHMAN